Saint Mars appartient à l'époque où évêques et ermites divulguaient le christianisme dans l'Ouest de la France. Il fut évêque avant de renoncer à sa charge et de se retirer dans un ermitage. Il est également l'auteur de quelques miracles. Mais un certain voile enveloppe son personnage et, associé à son nom d'emblée "mythologique", ouvre des pistes à la spéculation. Surtout que le principal épisode qui nous est resté de sa vie est loin d'être anodin ...
Vitrail de saint Marsdans la chapelle de Marcé
A part la tradition locale de Bais, la principale source concernant saint Mars reste la mention qui en est faite dans la Vita s. Melanii episc. Rhedonensis, vie de saint Melaine. Le récit en a été repris par plusieurs auteurs :
- Jehan de BOURDIGNE, Chronique d'Anjou et de Maine, 1529 - Angers, Imprimerie de Cosnier et Lachèze, 1842.
- Joseph GRANDET, Notre-Dame Angevine, début XVIIIème siècle - Angers, Germain et Grassin, 1884.
D'autres se sont par la suite penchés sur ce personnage ambigu :
- abbé J.-M. GUET, Saint Mars, patron de Bais, archidiocèse de Rennes : sa vie - son épiscopat - histoire de ses reliques, Vitré, Imprimerie J. Guays, 1884.
- L.-M. THORODE, E. LONGIN, Notice sur la ville d'Angers, Angers, Germain et G. Grassin, 1897.
- S. de la NICOLLIÈRE, Saint-Mars, évêque de Nantes (527-531), Vannes, Imprimerie Lafolye, 1899.
- DUINE, Bréviaires et missels des églises et abbayes bretonnes, Rennes, 1905.
- BAUDRY, "Saint Mard", Revue de Bretagne, août 1907.
- abbé TRÉVAUX, L'Eglise de Bretagne, Paris, 1939.
- Chanoine CRUBLET, Saint-Mars, évêque de Nantes, 1943.
- Chanoine CRUBLET, Histoire illustrée de saint Marse, évêque de Nantes, 1945.
- J.B. RUSSON, Saint Mars, patron de Bais, fut-il évêque de Nantes ?, Bulletin de la Société Archéologique de Nantes et de Loire-Atlantique, 1946.
- Chanoine RUSSON, La Paroisse de Bais, Nantes, Imprimerie de Bretagne, 1961.
- Bernard MERDRIGNAC, "L'évolution d'un cliché hagiographique : saint Melaine, saint Mars et l'eulogie métamorphosée en serpent", Les Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, tome 87, 1980.
- Philippe PARRAIN, "MR : entre l'émergence de la Mère et le cauchemar de Mars", Apparitions et fantômes, Condé-sur-Noireau, Corlet, 2002.
- Eloïse MOZZANI, Le Livre des superstitions, Paris, Robert Laffont, 1995.
Le catholicisme de la fin de la période gallo-romaine
Saint, évêque et ermite.
Statue de saint Mars dans l'église de Bais
Marse, Marsus, Marcius.
- Un saint Mars en Auvergne, au Vème siècle, qui était également ermite et que la tradition prétend avoir été évêque de Clermont.
- Saint Martin, de par le nom et leur double qualité d'évêque et d'ermite.
- Le dieu Mars.
- Transférée en 1848 du 21 juin au 5 juillet par le diocèse de Rennes qui le reconnaissait alors comme "confesseur-pontife".
- Célébrée à Bais le premier dimanche de juillet.
Appartenant sans doute, comme saint Martin, à une famille de militaires romains, Mars a hérité du nom du dieu Mars.
- A Marsé, sur la commune de Bais (Ille-et-Vilaine), probablement à la fin du Vème siècle.
- Aurait été baptisé par saint Melaine, évêque de Rennes.
A Marsé, à des dates variables selon les sources : en 527, le 6 janvier ou le 6 novembre 530, ou encore le 11 novembre 531, toutes dates qui semblent vouloir l'identifier à saint Melaine ou à saint Martin. L'abbé Guet propose, lui, le 6 octobre ou le 31 janvier.
Statue de saint Mars dans la chapelle de Marcé
- Vraisemblablement d'une famille aisée, peut-être de militaires romains.
- Selon une autre tradition, moins vraisemblable, fils de pauvres paysans.
- Disciple de saint Melaine.
- 16ème évêque de Nantes, successeur de saint Epiphane.
- Saint thaumaturge.
- Saint patron de Bais.
- Etait invoqué pour obtenir la pluie ou le beau temps, et des messes spéciales étaient alors dites en cas de nécessité.
Représenté en évêque, avec crosse et mitre, ou bien vêtu de la robe de bure de l'ermite.
Une certaine ambiguïté pèse sur le personnage de saint Mars : présenté comme le disciple de l'évêque de Rennes, saint Melaine, il est réputé avoir été évêque de Nantes. Or il ne semble pas avoir laissé de trace dans ce diocèse : Marcius, le cinquième évêque de Nantes, seul connu de ce nom, vécut un siècle et demi avant saint Melaine. L.-M.Thorode, dans sa Notice sur la Ville d'Angers (annotée par Emile Longin, insistent sur l'impossibilité de la rencontre, mentionnée dans la Vie de saint Melaine, des cinq évêques de Nantes, Rennes, Angers, Le Mans et Coutances : " Saint Mars et même saint Victor étaient morts avant le VIème siècle. Saint Aubin, saint Melaine et saint Laud étaient bien contemporains, mais ils n'ont pris part tous trois ensemble à aucun des cinq conciles d'Orléans ; saint Aubin n'a figuré qu'au troisième avec saint Laud, et alors saint Melaine était mort depuis trois ans. " Et Léon Maître pouvait parler de l'"épiscopat douteux d'un personnage obscur". La Notice sur la Ville d'Angers, insiste sur l'impossibilité de la rencontre, mentionnée dans la Vita de saint Melaine, des cinq évêques de Nantes, Rennes, Angers, Le Mans et Coutances : "Saint Mars et même saint Victor étaient morts avant le VIème siècle. Saint Aubin, saint Melaine et saint Laud étaient bien contemporains, mais ils n'ont pris part tous trois ensemble à aucun des cinq conciles d'Orléans ; saint Aubin n'a figuré qu'au troisième avec saint Laud, et alors saint Melaine était mort depuis trois ans." Et Léon Maître pouvait parler de l'"épiscopat douteux d'un personnage obscur".
On a pu supposer que, quasiment homonyme de Marcius, le saint Marsus de Bais exerça en fait son ministère de 527 à 531 et que, ayant renoncé à sa charge pour aller terminer sa vie en ermite, son nom n'a pas été retenu dans les registres épiscopaux. Mais cette hypothèse ne lève pas toutes les incertitudes. Deux personnages distincts - l'évêque et l'ermite - n'auraient-ils pas fusionné dans la mémoire collective ? Et n'y aurait-il pas eu des emprunts à des modèles antérieurs : saint Martin au IVème siècle, et un saint Mars en Auvergne au Vème siècle, pour s'en tenir à des noms qui font écho, n'avaient-ils pas eux aussi cumulé les fonctions d'ermite et d'évêque (ou du moins abbé de monastère) ?
Le sauvetage des reliques de saint Mars à la Révolution, vitrail de l'église de Bais
Le retour à Bais des premières reliques de saint Mars, vitrail de l'égllise de Bais
stmars_topo.swf Mars Mullo
Mars opère quelques miracles : alors que la sécheresse se fait cruellement sentir, il fait jaillir une source en creusant le sol avec son bâton ; par compassion pour une vieille femme, il débarrasse à jamais un terrain des fougères qui l'envahissaient (une autre version prétend que cette absence de fougères serait due au fait qu'enfant, il fut puni par sa mère pour ce geste de charité).
Mais c'est une image moins conventionnelle et plutôt moins flatteuse qui nous est parvenue de lui. Cet épisode se trouve dans la Vita de saint Melaine : ayant tardé à consommer le pain bénit que Melaine avait charitablement partagé entre les cinq évêques de la région (avec Aubin d'Angers, Victor du Mans, Laud de Coutances et donc Mars de Nantes), il voit ce pain se transformer en un horrible serpent qui le serre dans ses anneaux (le remords de s'être tenu à l'écart de la fraternité qu'il devait à ses compagnons ? ou bien, en un temps où l'Eglise impose l'observance du carême à partir du mercredi des Cendres, le rappel de l'Evangile selon Mathieu (VI,16-18) : "Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas un air triste ..." ?). Peut-on, à se sujet, évoquer le sangle, cet animal fabuleux que Verrier et Onillon signalent dans leur Glosaire des patois et parlers de l'Anjou, qui, semblable à un serpent, s'enroule autour du corps de ceux qui sont à jeun, jusqu'à les étouffer ?
Quoiqu'il en soit, c'est ainsi que l'on retrouve Mars errant lamentablement à travers la région, mendiant son pardon. Et lorsque Melaine enfin le lui accorde, Mars, enfin libéré de son serpent mais publiquement humilié, se trouve démis de son titre d'évêque et devient le diacre soumis de Melaine. Lourd châtiment pour un passager manquement à la charité !
On est tenté alors de s'interroger sur le sens de cette histoire. Et déjà sur le nom des principaux protagonistes : Mars porte le nom d'une divinité gallo-romaine, particulièrement présente entre Angers, Allonnes près du Mans, Rennes et Nantes. Une divinité révérée sans doute, mais qui ne s'est que passagèrement imposée sous ce nom en Gaule et qui, en ce VIème siècle, avait perdu tout prestige. A ses côtés - ou plutôt autour de lui puisqu'il va de l'un à l'autre - saint Aubin, "le blanc", saint Victor, "le victorieux" et saint Melaine que l'on n'a pas hésité à assimiler au dieu solaire gaulois Belen, "le brillant, le lumineux", ou plutôt, selon X. Delamarre, "le fort, le puissant" (saint Laud cesse alors d'être concerné, comme s'il ne rentrait pas dans le schéma symbolique). Une autre piste d'interprétation peut être cherchée dans une dérivation du nom du dieu romain : marsi, employée pour désigner les sorciers, et tout particulièrement les charmeurs de serpents (A. Arnout, A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine) ...
Peut-on rapprocher phonétiquement Mars (dont un nom ancien était Maurs) de la sonorité "maure", qui renvoie elle à la notion de noirceur, ce qui renforcerait le contraste avec les autres évêques ? Il est remarquable de constater à quel point le couple MR souligne l'axe Vienne/Loire, de Sainte-Maure-de-Touraine au Marillais, en passant par Saumur et Saint-Maur-de-Glanfeuil, et avec des personnages comme les saints Martin de Marmoutier, Maur, Maure, Maurice, Maurille, Mauron et Martin de Vertou, et quelques géants maléfiques comme Meuron et Maury. Tous participant d'une façon ou d'une autre au combat du Bien contre les forces du Mal et des ténèbres, tous intervenant en cette période où vécut notre saint Mars et qui a vu la victoire dans la région du christianisme sur les cultes païens.
Le dieu Mars était entre autres présent entre Angers et Nantes : la forêt de Saint-Mars-la-Jaille était consacrée à ce dieu, et l'on dit qu'il fut longtemps révéré au Petit-Mars et dans la forêt voisine où fut implanté Saint-Mars-du-Désert. L'histoire de saint Mars, écrasé par son reptile tout en faisant corps avec lui, ne nous raconterait-elle pas dès lors la lutte ambiguë du Bien contre le serpent maléfique, de la nouvelle religion chrétienne contre les survivances païennes ? Et pourquoi pas, en même temps, la soumission du dieu romain à l'ancien dieu celte Belen, épaulé par la Blancheur et la Victoire, en cette époque qui a suivi la romanisation et qui a connu, selon J.-J. Hatt, une résurgence des croyances indigènes ?
Pascal Duplessis suggère une lecture plus approfondie des thèmes concernant saint Mars. L'eulogie - le pain bénit distribué par saint Melaine - ne représente-t-elle pas étymologiquement la "bonne parole", eu-logos ? Or Mars se refuse d'abord à ce partage ; il n'avale pas, ne consomme pas cette parole, ne la fait pas sienne, mais se contente de l'enfermer "en son sein". Et au lieu de le transformer intérieurement comme elle aurait dû le faire, c'est elle-même qui se transforme, négativement. Sa fonction est normalement de lier, d'engager (les fiancés échangent leur parole à la chapelle Notre-Dame-d'Alliance de Bais), et c'est par la "mauvaise parole" que Mars se retrouve lié, enserré. Ce ne sera qu'en rétablissant la circulation entre les différents interlocuteurs, et par la "confession" (qui, selon le Dictionnaire des racines des langues européennes, dérive de bha-, parler), qu'il parviendra à se libérer (et, entre autres miracles, saint Melaine rend bien la parole aux muets).
Cette importance d'établir une circulation expliquerait les circuits que Mars effectue : à travers la région, ou bien revenant terminer sa vie là où il l'avait commencée.
L'épisode du champ de fougères ne serait alors qu'une réplique de cet épisode : la femme ne se rend pas à la messe où justement est proclamée la bonne parole. Elle est retenue par les fougères qui pullulent dans son champ. Or celles-ci peuvent symboliquement être vues comme des serpents : leurs jeunes pousses s'enroulent sur elles-mêmes (à la façon aussi de la crosse de l'évêque dont l'extrémité figure parfois une tête de dragon) ; et Le Livre des superstitions relève entre autres, dans le Maine-et-Loire, la coutume de "mordre dans une fougère femelle lorsqu'on pénètre dans un bois" pour éviter d'être mordu par une vipère. Mars, se souvenant de son expérience, lui demanderait donc d'aller se nourrir de la parole et lui permet ainsi de se débarrasser de ses "serpents".
Poursuivant l'analyse, P. Duplessis suggère un rapport avec le processus des règles chez la femme. La fougère n'est-elle pas une plante qui ne produit pas de "fleurs" ? Sinon, dit-on, pendant une heure, à minuit, la nuit de la Saint-Jean. Et ces fleurs sont rouge sombre et possèdent un grand pouvoir. On connaît, notamment grâce à Mélusine, ce qui rattache le serpent aux cycles menstruels. Il y a probablement là une nouvelle grille de lecture de l'aventure de saint Mars ...
Saint Mars, vitrail de l'église de Bais
Saint Mars, vitrail de l'église de Bais