Ce mot désigne en fait toute une catégorie de personnages qui, ayant été décapités (on dit de préférence "décollés"), se relèvent, prennent leur tête entre leurs mains, et se mettent en chemin pour rejoindre le lieu où ils désirent être inhumés.
Ces personnages peuvent se contenter de simplement ramasser leur tête afin de la laver dans l'eau d'une fontaine (la tête de saint Paul, tombée à terre, n'avait-elle pas rebondi en faisant jaillir trois fontaines ?), ou bien entreprendre une longue marche avant d'atteindre le lieu de leur sépulture.
"Céphalophore", en grec, signifie "porteur de tête.
On a pu interpréter cette particularité de porter sa tête entre ses mains par une considération iconographique : l'artiste aurait trouvé cette solution pour représenter dignement, et "avec toute sa tête", celui qui en fait l'avait perdue de par son martyre ... une convention toute naturelle pour exposer la nature du supplice enduré. Et la légende se serait ensuite créée afin de justifier de telles images. Il semblerait toutefois que ces récits aient précédé la représentation iconographique. La tradition celtique, pré-chrétienne, en proposerait déjà certains exemples. Quoiqu'il en soit, la légende se développe, au-delà de quelques variantes, selon des schémas assez souvent récurrents : le saint, par exemple, a tendance à traverser une rivière, à passer de l'autre côté de l'eau, avant de gravir une côte, à gagner un lieu élevé (à moins qu'il n'en vienne), et de parvenir au lieu qui lui accordera enfin le repos. Il y lave volontiers sa tête dans une fontaine (comme le dit H. Dontenville, "Il semble que les saints aient eu besoin d'une onde pure pour accomplir "post mortem" un acte rituel"). Puis il la pose sur une pierre qui reste marquée de son sang. Là un personnage féminin se charge éventuellement des derniers soins à lui donner. Le lieu, la pierre et la fontaine s'en trouvent sacralisés et deviennent supports de dévotions (à moins, comme c'est probable, que la légende ne rende compte a posteriori d'un culte préchrétien). Le thème trouve en effet des résonances au-delà de l'hagiographie : la tête d'Orphée est emportée par le courant du fleuve et continue de clamer le nom d'Eurydice. Et les Gaulois accordent une grande importance à la tête coupée celles des vaincus étaient rituellement exposées. Il existe aussi des "dieux-têtes", des figures divines dont la représentation ne comprend que cette partie du corps. J.-J. Hatt rapproche ces images d'une statue acéphale représentant selon lui le dieu Esus.
La céphalophorie est un thème fréquent dans l'hagiographie chrétienne, et saint Denis, le patron de Paris, en est l'exemple le plus célèbre : martyrisé sur la colline de Montmartre, il est allé jusqu'à l'actuel site de Saint-Denis pour y être enterré. Parmi les principaux céphalophores, on peut citer sur notre territoire : saints Ache et Acheul (Amiens), Adalbald (Périgord), Alyre (Alranc), Aphrodise (Béziers), Ausone (Angoulême), Aventin (Saint-Aventin, près de Luchon), Balsème (Ormes), Céran (Paris), Chéron (Chartres), Chrysole (Comines), Clair (Vexin), Démètre (Gap), Didier (Langres), Dinant (Milly), Elophe (Soulosse), Euchaire (Liverdun), Fargeau et Fergeon (Besançon), Firmin (Amiens), Fuscien et Victorie (St-Fuscien, près d'Amiens), Gaudens (Haute-Garonne), Genès (Arles), Germain (St-Germain-de-l'Herm), Gohard (Nantes), Hilarion (Espalion), Honoré (Thénezay), Julien (Vieille-Brioude), Just (St-Just-en-Chaussée, Beauvais), Juste d'Auxerre (Louvres), Léon (Bayonne), Lié (Pithiviers), Livier (Metz), Lucain (Parisis), Lucien (Beauvais), Lupien (Gévaudan), Maurin (Lectoure), Maxime et Vénérand (Acquigny), Mitre (Aix-en-Provence), Miliau (Guimiliau), Nicaise (Reims, et Vexin), Oricle (Senuc, Ardennes), Papoul (près de Castelnaudary), Parrès (sud de la Champagne), Piat (Seclin, Tournay), Révérien (Autun), Sabinien (Dauphiné), Sever (Gascogne), Silanus et ses trois compagnons (Périgord), Symphorien (Autun), Trémeur (Carhaix), Tropez (Var), Valérien (Tournus), Vénérand (Troyes) Yon de Châtres (Arpajon), ainsi que saintes Basilée (sud-est de Bayeux), Bazille (Gironde), Bologne (le Bassigny), Espérie (Saint-Céré), Germaine (Bar-sur-Aube), Haude (Finistère), Hélidie (Auvergne), Libaire (Grand ou Toul), Maxence (Beauvaisis), Noyale (Pontivy), Probe (Laon), Procule (Gannat), Protaise (Senlis), Quitterie (Aire-sur-l'Adour), Reine (Alise), Saturnine (Sains-lès-Marquion, près d'Arras), Solange (Berry), Spérie ou Espérie (Saint-Céré), Tanche (Lhuître, dans l'Aube), Théphine (Côtes-d'Armor), Valérie (Chambon, Limoges), Verge (Sainte-Verge, près de Thouars).
- Acta sanctorum. - Henri DONTENVILLE, Histoire et géographie mythiques de la France, Maisonneuve et Larose, 1973. - Philippe GABET, La céphalophorie, Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 140. - Philippe GABET, Recherche sur les Saintes "Céphalophores", Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 119, et Mélanges de mythologie française, Paris, Maisonneuve et Larose, 1980. - Jean-Michel HANS, Les céphalophores leuquois, St Eulophe et Ste Libaire enfants de Baccius, et Philippe GABET, Les Céphalophores champenois et bourguignons, une famille méconnue, Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 143. - Frédéric DUMERCHAT, Sainte Verge et saint Honoré en Poitou : têtes tranchées, sang et eau, Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 210. - Vies des saints et des bienheureux, 13 vol., Paris, Librairie Letourney et Ane, 1935 à 1959.