La Tarasque est indissociable de la ville de Tarascon et des sombres forêts qui bordaient autrefois le Rhône. Elle y mangeait les hommes et faisait régner la terreur. C'est sainte Marthe, la soeur de Marie-Madeleine, qui, parvenue sur les rives du fleuve, réussit à la dominer en lui passant sa ceinture autour du cou et qui ainsi pu la livrer à la vindicte du peuple. Mais la Tarasque est toujours présente dans le coeur des Tarasconnais qui conservent son effigie et la font participer à des fêtes exubérantes.
Jacques de VORAGINE, La Légende dorée, Editions du Seuil, 1998.
Louis DUMONT, La Tarasque, essai de description d'un fait local d'un point de vue ethnographique, Paris, Gallimard, 1951, 1987.
Frédéric MISTRAL, Les Fêtes de la Tarasque en 1861, trad. Anthony Berthier, suivi de suivi des Airs traditionnels des jeux de la Tarasque, Marseille, Moullot, 1862.
Jean-Paul NOURRI, La Tarasque - Qu'es aco ?, Tarascon, Editions Le Commercial, 1973.
Louis RENARD, La Tarasque, Marguerittes, Equinoxe, 1991.
Médiévale, avec d'éventuelles survivances de traditions antérieures.
Dragon, monstre anthropophage.
Les Tarascaïres, ses "chevaliers servants", accompagnent la Tarasque lors de la fête et sont responsables de ses mouvements.
La Tarasque
La Tarasque était fêtée, non pas à l'occasion des Rogations ou de la Saint-Marc, comme la plupart des dragons, mais à la Pentecôte et à la Sainte-Marthe (le 29 juillet). Les jeux de la Pentecôte, célébrés de façon épisodique depuis le XIXème (1846, 1861, 1891, 1941), ont été réactivés ces dernières années sous la forme banalisée d'un défilé en ville, qui entre autres s'est vu obligé de faire participer le Tartarin d'A. Daudet. Avec la laïcisation de la fête, il ne subsiste plus que la première phase, qui a été reportée fin juin.
Le versant religieux de la fête, à la Sainte-Marthe, montrait le dragon tenu en laisse par un ruban bleue que tenait une petite fille incarnant la sainte.
Par contre, lors des jeux corporatifs, il se montrait, selon les termes de Louis Dumont, furieux, renversant tout, crachant le feu" : "Toujours le public est victime de la rapidité, du caractère imprévu de la manoeuvre. Il se croyait spectateur et se trouve malmené de toutes façons." La queue du dragon balaie la foule, et peut faire des blessés, voire des morts. Loin d'être considérés comme négatifs, ces incidents sont appréciés de l'assistance qui s'écrie : "A ben fa !", "Il a bien joué". Dumont y voit volontiers "l'exaltation d'une puissance". On n'est pas loin des lâchers de taureaux en ville, et on se demande s'il ne faut pas faire là un rapprochement avec la nature taurine du Tauriscus de l'Antiquité ?
La Tarasque a-t-elle donné son nom à Tarascon, ou bien l'inverse ? C'est la première solution que proposent Raban Maur et La Légende dorée. Le mot pourrait en ce cas être apparenté au grec tarasso, "épouvanter".
Il semble plus vraisemblable que ce soit la ville qui ait légué son nom à son dragon. Il faudrait alors remonter à une racine pré-celtique, ligure : , "pierre, rocher".
Mais il ne faut jamais exclure deux étymologies distinctes et leur convergence en ce point de la vallée du Rhône, le monstre terrifiant prenant de préférence résidence en ce lieu rocheux.
Et n'y aurait-il pas là aussi un souvenir de ce tyran (sans doute un géant) Taras ou Tauriscus, qui retint Hercule au passage du Rhône et que celui-ci abattit de ses flèches ?
Selon la Légende dorée, originaire de la Galatie.
Lynchée par le peuple, après que sainte Marthe ait réussi à l'amadouer.
Selon la Légende dorée, la Tarasque a pour parents "le Léviathan, monstre à forme de serpent, qui habite les eaux, et l'Onagre, animal terrible que produit la Galatie, et qui brûle comme avec du feu tout ce qu'il touche".
Au-delà de son caractère maléfique et dévastateur, la Tarasque est, comme les dragons en général, un vecteur de fécondité et de fertilité.
La fête de la Tarasque
Louis Dumont fait remarquer que la Tarasque ressemble plus à un carnassier géant qu'à un dragon ordinaire.
La Légende dorée la décrit ainsi : "Un dragon, moitié animal, moitié poisson, plus épais qu'un boeuf, plus long qu'un cheval, avec des dents semblables à des épées, qui était armé de chaque côté de deux boucliers ; il se cachait dans le fleuve d'où il ôtait la vie à tous les passants et submergeait les navires"
Dans l'iconographie chrétienne, la Tarasque est plutôt représentée comme un monstre à tête de lion, au dos couvert d'épines, aux six pattes dotées de longues griffes et à la queue de serpent.
Frédéric Mistral (Mireille) la voit avec "la queue d'un dragon, des yeux plus rouges que le cinabre, sur le dos des écailles et des dards qui font peur ! D'un grand lion elle porte le mufle, elle a six pieds humains, pour mieux courir ; dans sa caverne, sous un roc qui domine le Rhône, elle emporte ce qu'elle peut."
C'est par ailleurs au Roi René que l'on doit l'aspect de la Tarasque processionnelle : "Un monstre à tête de lion avec crinière noire, carapace de tortue, armée de crocs et de dards : dents de lézard, ventre de poisson, queue de reptile, jetant par les naseaux de longues traînées d'étincelles produites par des fusées, et à l'intérieur six hommes pour la porter."
La fête de la Tarasque est réputée avoir été créée par le roi René, le 14 avril 1474. Elle fut organisée en l'honneur de Jeanne de Laval et consistait en des jeux et divertissements. Le roi fonda en même temps l'Ordre des Chevaliers de la Tarasque - les tarascaïres - qui étaient chargés d'organiser les Jeux au moins sept fois par siècle et, à cette occasion, "de faire grand tintamarre, noces, farandoles et festins" pendant cinquante jours. La fête, oubliée un certain temps, a été remise à l'honneur par la ville, en lui ôtant tout caractère religieux.
Mais la Tarasque a toujours été populaire à Tarascon. Elle était déjà connue bien avant le roi René, puisque Jacques de Voragine la met en scène dans sa Légende dorée au XIIIème siècle, et que Raban Maur l'évoquait au début du IXème siècle dans une vie de sainte Marthe qu'il dit avoir composée d'après un manuscrit du Vème siècle. En remontant dans l'Antiquité, Hercule est réputé être venu à bout d'un tyran local, le Tauriscus, sur les rives du Rhône, en le transperçant de ses flèches
La dédicace de l'église à sainte Marthe est attestée à Tarascon à la fin du IXème siècle, mais il est vraisemblable qu'elle existait déjà auparavant.
La Tarasque de Noves
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La Tarasque, comme tous les dragons de la tradition chrétienne, incarne les forces du mal, diaboliques et perturbatrices, que combat avec succès un saint personnage, garant de la religion et de la société. Tel était déjà le message transmis par la victoire d'Hercule sur le Tauriscus : le nécessaire retour à l'ordre social.
Mais cette figure est de façon évidente chargée d'ambivalence, et la fête qui la met en scène la célèbre autant sinon plus qu'elle ne célèbre sainte Marthe. Ce n'est pas par hasard si c'est elle, et non la sainte, qui porte le nom de la ville. Mistral, suivant apparemment une tradition bien ancrée, surnomme la Tarasque "la Mère-Grand", ce qui dénote l'attachement filial des Tarasconais, mais peut aussi renvoyer à une image de la Grande Mère, puissante et dévoratrice, objet de respect et de vénération.
Pour Louis Dumont, "ce n'est pas une bienfaisance, c'est une ambivalence, mais surmontée, résolue, orientée vers le bien. La Tarasque est bienfaisante par ses violences mêmes." Il n'est sans doute pas aberrant d'assimiler sainte Marthe au dragon : "La sainte participe dans une certaine mesure du monstre qu'elle dompte." Hubert et Mauss, ne notaient-ils pas dans leurs Mélanges d'histoire des religions : "Les adversaires mis en présence par le thème du combat sont le produit du dédoublement d'un même génie".