Gargantua est un personnage clef de la mythologie française. Diverses chroniques du XVIème siècle, entre autres sous la plume de Rabelais, rapportent ses exploits. Mais sa "vie inestimable" ne fait que broder sur un très ancien fond qui transparaît au travers d'innombrables traditions populaires. Tout laisse supposer que, derrière la figure du géant truculent et glouton, se cache une très ancienne divinité, présente sur notre territoire aux temps celtiques, et très probablement bien antérieurement. Une divinité apparemment puissante et bienveillante, mais qui peut aussi paraître terrifiante Les mythologues qui, depuis le XIXème siècle, se sont penchés sur ce personnage énigmatique et ont proposé toutes sortes de clefs d'interprétation qui sont autant d'ouvertures, de pistes. C'est ainsi qu'Henri Gaidoz y voit la personnification du "soleil vainqueur et glorieux". Henri Dontenville et Henri Fromage lui attribuent la dimension du dragon. Il est pour Guy-Edouard Pillard le "symbole même de l'éternelle résurrection". Tandis que pour Claude Gaignebet, il est avant tout la "personnification du carnaval" Mais déjà George Sand relevait que "ceux qui vous racontent ces choses n'ont certes jamais lu le livre (Gargantua), et pas plus qu'eux leurs aïeux n'ont su son existence. Le nom de Rabelais leur est aussi inconnu que celui de Pantagruel et de Panurge. Le frère Jean des Entommeures, ce type si populaire par sa nature et son langage, n'est pas arrivé davantage à la popularité de fait. Ces personnages sont l'oeuvre du poète ; mais je croirais que Gargantua est l'oeuvre du peuple, et que, comme tous les grands créateurs, Rabelais a pris son bien où il l'a trouvé." (Légendes rustiques)
- Thomas de SAINT-MARS, "Les Traditions de l'ancien duché de Retz sur Gargantua", Mémoires de l'Académie celtique, 1810.
- Félix BOURQUELOT, "Notice sur Garghantua", Mémoires de la Société des Antiquaires de France, 1844.
- Henri GAIDOZ, "Gargantua, essai de mythologie celtique", Revue archéologique, 1868.
- Léo DESAIVRE, Recherches sur Gargantua en Poitou avant Rabelais, Niort, Clouzot, 1869.
- Paul SEBILLOT, Gargantua dans les traditions populaires, Paris, Maisonneuve et Cie, 1883.
- Henri DONTENVILLE, La Mythologie française, Paris, Payot, 1948.
- Henri DONTENVILLE, Les Dicts et récits de mythologie française, Paris, Payot, 1950.
- Henri DONTENVILLE, La France mythologique, Henri Verryer-Tchou, 1966.
- Henri DONTENVILLE, Histoire et géographie mythiques de la France, Paris, Maisonneuve et Larose, 1973.
- Claude GAIGNEBET, Jean-Dominique LAJOUX, Art profane et religion populaire au Moyen Age, Paris, PUF, 1985.
- Claude GAIGNEBET, A plus hault sens, l'ésotérisme spirituel et charnel de Rabelais, Paris, Maisonneuve et Larose, 1986.
- Guy-Edouard PILLARD, Le vrai Gargantua, mythologie d'un géant, Paris, Editions Imago, 1987.
- articles d'Henri DONTENVILLE, dans les n° 2 et 3 du Bulletin de la Société de Mythologie Française, réédités en 1988.
- divers articles du Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 51, 52, 54, 55, 59, 63, 84-85, 88, 92, 98, 99, 103, 105, 107, 114, 134, 137, 150, 157, 159.
- Bernard SERGENT, "Gargantua, Jean de l'Ours et Amirani", Bulletin de la Société de Mythologie Française, n° 165-166.
- Guy-Edouard PILLARD, "Gargantua au Puy-en-Velay", Bulletin de la Société de Mythologie Française, n° 172.
- Pascal DUPLESSIS, "Des traces de Lugnasad dans l'origine de Bouzillé par Gargantua", Bulletin de la Société de Mythologie Française, n° 185.
Il faut également signaler les sources littéraires. Principalement :
- Giraud de BARRI, Topographia Hibernica, XIIème siècle.
- Geoffroy de MONMOUTH, Historia Regum Brittaniae, vers 1235.
- Les grandes et inestimables Cronicques du grant et énorme géant Gargantua, Lyon, 1532 - Rééd. Editions des Quatre Chemins, 1925.
- Le vroy Gargantua, 1533 - Rééd. Nizet, 1949.
. Les Croniques admirables du puissant roy Gargantua, 1534 - Rééd. Editions Gay, 1956.
- François RABELAIS (M. Alcofribas), Les horribles et épouvantables Faits et prouesses du très renommé Pantagruel, roi des Dipsodes, fils du grand géant Gargantua, 1534.
- François RABELAIS (M. Alcofribas), La Vie inestimable du grand Gargantua, père de Pantagruel, 1534.
- différentes publications de la Bibliothèque Bleue.
Probablement la France proto-historique.
Géant
Pourquoy ? dist Gargantua, ils sont bons tout ce mois.
Gargan, Gargantois, Gargantuas, Grand-Tuard, Gurgiunt, Jarjan, Jorjon, Brise-Chênes, Tord-Chênes (Marne), Bras-de-Fer (Brière), Bringuenariles (Normandie), Hok-Bras, Kawr ou Grand'Tua (Bretagne), Gargountoun (Charente) ...
- Jean de l'Ours, Roland, Charlemagne, Tartaro (Pays Basque), Duguesclin.
- Hercule, Jupiter.
- Le Diable, Samson, Goliath, le Juif Errant.
- Saints Christophe, Martin, Nicolas, Pierre, Maurice, Georges, Gibert, Aignan (Orléans), et divers saints locaux, voire Jeanne d'Arc, la Vierge ou Jésus ...
- Au-delà des légendes, pourrait représenter Belen ou Lug, et est réinterprété à travers les saints Blaise, Michel et Gorgon.
Le Robec, à Rouen, que pissa Gargantua, d'après une ancienne carte postale
- Pour Rabelais, c'est en découvrant la puissance du gosier de son fils que Grandgousier s'exclame "Que grand tu as !".
- Selon Gaidoz, "gargant" serait le participe présent de la forme intensive d'un verbe gar qui signifierait "avaler, dévorer". Et il rapproche cette forme d'un certain nombre de mots tels que l'espagnol garganta, "gorge". La même racine caractérise d'ailleurs bien des dragons avaleurs : la Gargouille, le Graouli, la Grand'Goule, la Galaffre, ... et la Gorgone.
- La racine gar renvoyant à l'idée de la pierre.
- Le grec gorgos, "effrayant", qui donnerait une notion d'horreur.
- Jean Markale évoque le breton classique gargam, "cuisse courbe", ce qui définirait un personnage Le suffixe tua, tuas pose problème : peut-être "celui du mont Gargan".
Je cheminay bien deux lieues sus sa langue, tant que ie entray dedans sa bouche
- Supposée à Plévenon en Fréhel (22), mais en fait rarement mentionnée par les traditions populaires.
- Selon les Chroniques, sur la plus haute montagne d'Orient.
- Pour Rabelais, par l'oreille gauche de sa mère, un 3 février.
- D'après les Chroniques, aurait été emporté par Merlin ou Morgane en Féerie (Avalon), où il vit toujours.
- On raconte qu'il meurt, vidé de son sang, dans une compétition truquée avec le Diable.
- Plusieurs sites revendiquent sa mort et sa tombe. On évoque le plus fréquemment, comme cause de sa mort, l'ingestion de moulins à vents dont les ailes continuent à tourner dans son ventre. A moins que (dans le Nivernais) il ne soit précipité au fond d'un puits sous des meules de moulin, par une population qu'il risque d'affamer.
La Tasse de Gargantua, à Peyrat-la-Nonière (Creuse)
- Fils de Grantgosier (Grandgousier) et de Gargamelle (Gallemelle), ou bien du géant Briarée et de Gargantine.
- Selon Giraud de Barri, fils de Belen.
- Il est dit dans une chronique ne pas avoir de père, sa mère l'ayant conçu à la seule vue d'un géant.
- Epoux de Badebec, fille du roi des Amaurotes, en Utopie.
- Les traditions populaires évoquent la difficulté pour lui de trouver une épouse à sa mesure, et parlent plutôt, de façon anonyme, de la "Femme de Gargantua", à moins qu'elles ne reprennent pour elle le nom de Gallemelle.
- Père de Pantagruel, ou d'enfants qui restent anonymes et rarement mentionnés dans les traditions populaires.
- Façonneur de paysages, qui agit au niveau du sol, de façon fantaisiste, et en fonction de ses besoins naturels, ce qui explique les irrégularités et bizarreries de la nature.
- Grand marcheur, généralement d'Est en Ouest.
- Guerrier, pourfendeur de géants, qu'il met volontiers dans sa besace.
- Parfois invoqué comme croquemitaine.
L'empreinte de la main de Gargantua, dans les gorges du Drouvenant (Jura)
- Enorme géant, bonhomme et bien intentionné, débonnaire et jovial.
- D'une force exceptionnelle.
- Barbu, velu.
- Doté d'une dent creuse.
- Personnage fruste.
- Glouton, dévorant indistinctement tout ce qui lui tombe sous la dent.
- Porte un bâton de marche (le plus souvent un tronc d'arbre) ou une massue, une hotte, une gibecière de peaux de bêtes.
Le nom de Gargantua reste ignoré jusqu'aux années 1630, un peu avant que Rabelais ne le choisisse comme clef de son œuvre. Ou du moins, on n'en relève aucune trace littéraire, ni iconographique. Enfoui dans le secret des traditions populaires, ce n'est que bien plus tard qu'il apparaît sous la plume des folkloristes qui sont allés le dénicher dans les légendes locales et dans les toponymes.
Et là c'est une révélation : on le découvre quasiment partout, inscrit dans la mémoire collective. Il est omniprésent dans les paysages. Il s'affirme comme un personnage essentiel de l'imaginaire local. L'impressionnant relevé de ce qui est parvenu jusqu'à nous - et qui, de façon évidente, ne doit que très peu à Rabelais - est là pour en témoigner.
C'est donc tout naturellement que l'on est amené à s'interroger sur la nature de ce volumineux personnage. Il paraît bien téméraire pourtant de chercher à le cerner, à en esquisser le portrait. Et il convient de rester très prudent. Ce qui n'empêche pas d'imaginer ce qu'il peut avoir représenté, de proposer des pistes, de lancer des hypothèses : en dépassant le premier degré des grosses plaisanteries (encore que ...) ; en enquêtant sur les traces qu'il a laissées ; en scrutant ses faits et gestes, les lieux qu'il a marqués, les thèmes récurrents, les mots eux-mêmes.
Son personnage en fait s'appuie moins sur un récit chronologique, biographique, que sur une accumulation de faits qui se répètent de lieu en lieu. Il apparaît comme un être intemporel, qui manifeste sa présence et son pouvoir ici et là.
Ce ne seroyt que bon que nous rendissiez nos cloches, car elles nous font bien besoing
L'affiloir de Gargantua, à Craménil (Orne)
La naissance de Gargantua, telle qu'elle est relatée dans les Chroniques, mobilise une nuée de personnages, accourus de divers horizons mythologiques : "Tous dieux, semi-dieux, nymphes, paranymphes, déesses et autres se montrèrent fort serviables audict enfantement". Morgane, Cybèle, Proserpine, Ysangrine et Cornaline reçoivent l'enfant. Le soleil, la lune, le vent, les feuilles des arbres même suspendent un temps leur mouvement. Ysabelle et Philocatrix - l'aïeule de Mélusine - baignent le bébé. Et sont aussi présents Faunus, Silvanus, ainsi qu'une floppée de satyres et de lutins.
A sa mort, Gargantua ira rejoindre en Féerie le roi Arthur, Morgane, Ogier le Danois et Huon de Bordeaux.
Est-ce là le signe de l'importance du personnage ? Il faut bien sûr faire la part de la fantaisie du récit. Il n'en reste pas moins que notre géant national, dont Rabelais a su extraire la substantifique moelle, s'inscrit d'emblée au coeur d'un univers mythologique polymorphe : celui qui anime le territoire français et certaines régions des pays limitrophes.
Avant tout il s'agit d'un géant, et il rentre par là dans une catégorie bien définie de l'imaginaire. Mais, contrairement à la majorité des géants, il n'est en rien méchant, ni menaçant, même si, du fait même de sa taille, on préfère plutôt le voir s'éloigner. S'il lui arrive de faire des dégâts, c'est bien malgré lui, et il se montre souvent prêt à réparer. De même, contrairement à la plupart des géants, il n'est pas attaché à un lieu particulier : il ne cesse de voyager, de parcourir, d'"arpenter" à grandes enjambées le territoire, dans sa quasi totalité.
C'est ainsi que Dontenville a pu suggérer que Gargantua réalise "à grande profondeur, notre unité nationale". Il apparaît de fait, à la façon du dieu gaulois Teutatès, dans un rôle de protecteur de la communauté : c'est un guerrier, spécialement missionné par Merlin auprès d'Arthur pour le défendre contre ses ennemis. Il lutte contre les envahisseurs, contre les armées ou les géants qui mettent en péril le pays, ou bien d'une certaine façon contre le christianisme, la nouvelle religion qui menace les anciennes croyances (ne serait-ce qu'en ingurgitant périodiquement des moines, même si c'est par inadvertance, mais toujours en faisant honneur à l'esprit "gaulois").
Et pourquoi après tout ne pas y voir une préfiguration d'Astérix, consolidé par Obélix pour la force et la manie de porter des mégalithes. Bourquelot ne parlait-il pas de lui en ces termes : "Peut-être Gargantua doit-il être regardé comme une sorte de personnification de la race gauloise en lutte contre les Romains. Les peuples italiques avaient paru aux Gaulois, lors de leur invasion au-delà des Alpes, de petits et chétifs soldats ; c'est par cette idée qu'on pourrait expliquer le type de Gargantua comme représentation de la force celtique."
Son gigantisme l'impose comme un être supérieur, dont la tête peut se perdre dans les nuages, et qui prend plaisir à s'asseoir sur les plus hautes montagnes et sur les tours des cathédrales pour prendre des bains de pied dans les lacs ou les fleuves. Un être qui domine toutes choses, protéiforme et omniprésent, qui passe sans transition ni contradiction de la taille humaine à celle des montagnes. Cela répond bien sûr aux nécessités du récit, mais traduit aussi un caractère surnaturel, divin, omnipotent, à la fois proche des hommes et dominant l'Univers. Et cela contribue à en faire un dieu suprême et miséricordieux. S'agit-il pour autant du dieu unique d'un probable monothéisme gaulois ?
Dontenville, lui, le voit accouplé à Mélusine. Mais il n'y a pas nécessairement simultanéité. G.-E. Pillard explique qu'il serait "inutile de chercher une quelconque parédrie : Gargantua "solaire" serait le successeur de Mélusine devenue "lunaire". Et, dans ce cas, Gallemelle pourrait recouvrir l'image de Mélusine devenue, dans la légende, la "mère" de Gargantua. En réalité, elle ne lui a pas donné naissance, mais elle l'a précédé."
Il a été qualifié de dieu solaire : il fait régulièrement le tour du monde, et son premier voyage, accompagné de ses parents, et guidé par la Grant Jument dont ils tournent la tête vers l'ouest, le mène d'un lointain Orient jusqu'au Mont-Saint-Michel. Et c'est là, au bord de la mer Occidentale, qu'il finira par s'éteindre, ou bien qu'il s'embarquera pour les îles enchantées. Selon Gaidoz, le caractère dévorant, avaleur, de Gargantua conserverait le souvenir de sacrifices humains autrefois adressés au dieu solaire. Dontenville, lui, en fait un dieu du soleil couchant, associé en une sorte de triade, à Orcus, le dieu de la nuit, et à Belenos, celui de la lumière solaire.
Gargantua en tout cas ne s'impose pas vraiment comme un véritable démiurge, mais bien plutôt comme l'ordonnateur du cosmos ; il se contente d'aménager le paysage : les cailloux coincés dans ses bottes ou sa pierre à affiler forment les menhirs ; les palets avec lesquels il joue deviennent les tables des dolmens ; la terre décollée de ses sabots, et les produits de ses vomissures ou de sa défécation génèrent tertres et collines ; il tarit les rivières en buvant, et engendre les fleuves en urinant ... Joueur maladroit, il ne se fait remarquer ni par son adresse, ni par sa précision, ce qui permet d'expliquer les irrégularités et bizarreries de la nature. Son caractère mal dégrossi, à l'emporte-pièce, et sa dépendance vis-à-vis des contingences naturelles, peuvent suggérer un regard pour le moins sceptique quant à la perfection de la nature humaine, voire divine. On est bien loin de l'harmonie des sphères célestes ... Est-ce là la trace d'une véritable vision du monde, ou bien le résultat du long déclin d'une religion oubliée ?
L'activité de Gargantua se recentre souvent sur ses fonctions digestives, de l'ingestion à la régurgitation ou à la défécation. Cela pourrait le définir comme un dieu du temps, de la mort, qui dévore tout sur son passage. Il se bat volontiers en lançant des raves, légume souterrain, associé aux morts. Et Pillard parle de son "énorme bouche qui ressemble à un gouffre", à la gueule de l'Enfer, et il suggère que sa dent creuse, où ceux qu'il ingurgite trouvent régulièrement refuge, peut être considérée comme un "véritable purgatoire". Tout cela en ferait un psychopompe, un passeur vers l'autre monde. Autre rôle qui renvoie à l'archange solaire saint Michel, auquel il est si souvent géographiquement associé.
Ses perpétuelles pérégrinations, ses traversées de cours d'eau, peuvent aussi suggérer un parcours initiatique, tandis que l'engoulement et le retour à la lumière du jour de ceux qu'il avale semblent représenter une épreuve marquée par la mort et la résurrection. G.E. Pillard suit cette piste : "Les "tombes" de Gargantua figureraient très bien les lieux de célébration de "mystères", avec épreuves initiatiques, les déplacements de Gargantua matérialiseraient des itinéraires sacrés reliant des lieux de pèlerinage, et les dépattures en marqueraient les principales étapes."
Gargantua pourrait aussi être un dieu de la génération : on a observé des rites de fécondité autour de pierres qui lui sont dédiées, et il est tentant de donner une interprétation phallique aux épisodes qui évoquent sa "troisième jambe".
Henri Fromage, quant à lui, a exploré, à la suite d'Henri Dontenville, quelques thèmes sonores qui reviennent en leitmotiv dans les épisodes légendaires : mul/mun (meule, moulin, meunier, moine ...) qui ferait référence au dieu gallo-romain Mars-Mullo ; pal (palet, pelles ...) qu'il rattache au latin spelunca, "caverne, grotte, entrées du monde souterrain" et qui serait à rapprocher de Mercure ; boui (bouillie, boeufs, boue, bois ...) qui renverrait au dieu Apollon-Borvo des sources bouillonnantes. Ainsi Gargantua assurerait à lui seul les fonctions propres à Mars, Mercure et Apollon
Enfin, parmi les multiples conjectures que suscite ce personnage, un récit le montre naissant à Plévenon, pas plus gros qu'une équille, mais très long, au point que sa tête sortait de la bouche de sa mère. Et cela nous mettrait sur la piste d'un dragon, également "à grand gosier", selon les mots de Dontenville qui est tenté de le voir représenté sous la forme du serpent à tête de bélier de l'iconographie gauloise : "On peut soupçonner un Gargantua primitif d'avoir eu partiellement forme de serpent, d'avoir été le géant anguipède, mieux encore, de s'être transformé complètement, selon des rites perdus, de serpent en géant." L'image qui le montre, anguipède, couvrant le sommet du Mont-Saint-Michel semble, à ce titre, faire référence à ce passage du Florimont (1188) d'Aimon de Varennes où le héros décapite le géant Garganeüs à queue de serpent, à tête de léopard, et au corps de guivre volante. C'est ce monstre qui aurait donné son nom au mont Gargan, en Italie, prototype de notre Mont-Saint-Michel.
Mais, si Gargantua est si important, pourquoi a-t-il été si longtemps entouré de silence ? Pourquoi est-il resté dans l'ombre ? On peut supposer qu'il était en fait trop dérangeant, en tant que représentant d'une religion qu'il fallait effacer de la mémoire. Dans ses Légendes rustiques, George Sand disait de Georgeon que "ce nom terrible qui présidait aux formules les plus efficaces et les plus secrètes, ne devait être confié aux adeptes de la sorcellerie que dans le pertuis de l'oreille ..." Georgeon, un avatar de Gargantua ? En tout cas, les dieux anciens furent diabolisés ; et sans aucun doute parla-t-on longemps de Gargantua sous le nom du "Diable". D'autre part, le nom de "Gargantua" ne semble pas très ancien. Il pourrait s'agir d'un qualificatif pour un dieu au nom volontairement caché, non nommé, et peut-être même sans nom. Tout simplement, "celui du mont Gargan", de ces monts sacrés, désormais dédiés à saint Michel ou bien associés à d'anciens cimetières, que l'on retrouve un peu partout sur le territoire, et même hors de nos frontières, notamment en Italie avec le Monte Gargano (près duquel Florimont tue le géant Garganeüs), ainsi que, semble-t-il, sur le mont Ararat.
Et l'on peut tout simplement envisager Gargantua comme une figure composite, englobant toutes les anciennes divinités diabolisées sous ce nom par la nouvelle religion.
Ce vitrail de l'église de Manerbe (14) montre-t-il Gargantua dominant le Mont-Saint-Michel avant que l'archange ne vienne le supplanter ?
L'épaule de Gargantua, à Gallardon (28)
L'épaule de Gargantua, à Gallardon (28)