A l'orée d'une antique forêt, Saulges est, près de la rivière de l'Erve que surplombent d'inattendues parois rocheuses, un site attrayant. Originellement située dans ce qu'il était d'usage d'appeler un « désert », ce devint rapidement un important pôle religieux, qui fut même un temps cathédrale avec, en 755, l'évêque Marolle. L'occupation humaine y est très ancienne, puisqu'une grotte naturelle y présente des gravures préhistoriques, et que les Romains y ont marqué leur présence avant que le site abrite une importante nécropole mérovingienne. Entre autres légendes qui s'y sont développées, celle de l'ermite fondateur saint Céneré est à retenir. Elle a suscité un lieu de dévotion toujours très fréquenté, dont la portée symbolique est remarquable.
Saint Sérené
- A. Grosse-Duperon, Deux excursions au pays de Saulges - Souvenirs d'un touriste, Mayenne, Poirier-Bealu, 1901.
- Dom Paul Piolin, Vie de saint Céneré ou saint Sérené et le pèlerinage de Saulges, Angers, imprimerie P. Lachèse, Belleuvre et Dolbeau, 1868.
- Dom Paul Piolin, Vie de Saint Sérené, protecteur du Maine et de l'Anjou, et les pèlerinages de Saulges, Rennes, Impr. du Nouvelliste de Bretagne, 1926.
- G. Chaussis, Mayenne mystérieuse : légendes, anecdotes, croyances et superstitions en Mayenne, Laval, Siloë, 1983.
Les habitants de Saulges prétendent être les descendants de la fée Salica qui régnait sur les rives de l'Erve en des temps immémoriaux.
Il y a fort longtemps en effet que ces lieux sont fréquentés par l'homme, puisqu'on y trouve de multiples traces d'habitats préhistoriques. Mabillon y signale une église dès le IVème siècle, aux premiers temps du christianisme. Mais c'est avec saint Céneré, au VIIème siècle, que ce site est véritablement entré dans l'histoire.
Saulges se situe en zone frontalière de la Mayenne et de la Sarthe, en marge de la forêt de la Grande Charnie, qui autrefois recouvrait la région, et à l'extrémité méridionale des Coëvrons.
Le bourg de Saulges se dresse au-dessus du cours de l'Erve, en ce qui semble être une plaine sans grand relief. Mais les sites signifiants se trouvent sur les bords de la rivière qui a creusé son lit dans la roche, déterminant d'impressionnantes falaises, inattendues dans un tel paysage.
L'entrée de la grotte de Rochefort
L'Erve
- Dans l'Antiquité, Salica ou Salvia.
- Au IXème siècle, Salicam.
- Jusqu'à la fin du XVIIème siècle, Saulges-le-Désert.
- St Céneré, St Céneri
- St Bibien, invoqué pour les troupeaux et les animaux en général.
La campagne au-dessus de la vallée de l'Erve
- Pèlerinages à l'ermitage de saint Céneré aux environs de la fête de ce saint, actuellement le dernier samedi de juillet, ou le second d'août.
- Autrefois fête de la Saint-Bibien, le 28 août.
La tradition fait remonter Salica au nom de la fée de l'Erve. Moins poétiquement, on peut rattacher le nom de Saulges à ceux de Saulgé ou de Soulgé (un château porte ce nom sur la commune), lesquels renverraient à des noms de personnes Salvius ou Silvius, avec le suffixe -acum. Ernest Nègre y voit un nom germanique Salicus. A noter la possible collusion de silvius avec la forêt qui autrefois recouvrait la région.
Une autre piste peut aussi être recherchée du côté végétal : salvia, « sauge» (mot venant lui-même de salvus, « sain ») ou, plus vraisemblablement salix, « saule », ce qui nous ramène aisément au bord de l'eau.
Le pays de la Charnie, en bordure duquel s'inscrit Saulges, peut tirer son nom du celtique *kar, « pierre, rocher », ou de son corrélatif *karn, « tas de pierres », avec connotation d'un lieu sacré, ou bien, selon Falch'un, du celtique cob-o-briga-on, « mont de la victoire ». Il peut encore se référer à l'arbre « charme ».
Enfin les Coëvrons, région dont Saulges occupe la partie méridionale, pourraient renvoyer à cava, « creux ».
Même s'il est représenté comme un « désert », un lieu sauvage, dans la légende de saint Céneré, Saulges est un lieu très anciennement habité, comme le prouvent les vestiges préhistoriques datant de 15 à 20 000 ans.
Quelques traces de vestiges romains, alliés au nom de la rivière de l'Erve, anciennement Arva, qui l'arrose, ont pu faire croire que ce site abritait la cité gauloise de Vagoritum, capitale de la tribu des Arvii mentionnée par le géographe grec Ptolémée. Mais cette thèse n'a pas été retenue.
L'église elle-même a été consacrée dès le IVème siècle par le saint évêque du Mans, Julien, qui y prêcha, ainsi que son disciple saint Thuribe. Et cette église Saint-Pierre devint de 762 à 770 le siège du chorévêque Mérole, ce qui fit de ce lieu un important centre religieux. Le nombre de sarcophages mérovingiens qui y ont été découverts vient confirmer son influence.
On mentionne au XIème siècle une deuxième église consacrée à Sainte-Marie, laquelle est considérée comme l'église-mère. Les deux églises de Saulges ont par la suite relevé de l'abbaye de la Couture du Mans.
Le retable de l'Assomption dans l'église Notre-Dame
Saint Céneré, au-dessus de la source
Saint Céneré veille sur les soldats du monument aux morts dans l'église Notre-Dame
Comme bien d'autres, le patrimoine légendaire de Saulges oppose le bien et le mal, la sainteté et le démoniaque, et plus précisément la civilisation (le christianisme) et la nature. Le cours domestiqué de l'Erve, scandé par toute une série de moulins, exprime bien cette idée.
L'environnement rend compte des deux thèmes directeurs et complémentaires de l'imaginaire local :
- les rochers qui dominent l'Erve, avec leurs cavités creusées par les eaux d'infiltration,
- l'eau qui suinte du rocher, l'eau qui coule.
Sans insister sur les peintures préhistoriques, pour lesquelles il est risqué d'avancer des clefs d'interprétation, il est bien évident que la fée Salica, qui aurait donné son nom au lieu et à laquelle on doit les bizarreries du paysage, est une fille de la rivière, de l'Erve. Tout comme on ne peut manquer d'y reconnaître le personnage d'Eve (dont le nom, tout comme celui de la rivière, est à rapprocher de la racine désignant l'eau), vivant dans un merveilleux Paradis dont elle est exclue par la faute qu'elle commet.
Et ce paysage, qu'elle a léguée à sa postérité, n'a pas manqué d'engendrer des légendes. Le plateau des Hallais, au-dessus des grottes de Rochefort et de la Chèvre, était paraît-il le siège de sabbats, auxquels les sorcières, enduites de graisse, se rendaient à travers les airs. Plusieurs témoins affirment les avoir vues s'y rendre.
Les grottes elles-mêmes sont souvent porteuses de légendes. C'est le cas de plusieurs parmi celles de Saulges, aux formes singulières, d'autant plus qu'elles ont révélé des traces d'occupation humaine. Le personnage, pour ainsi dire historique, de Margot, avec sa poule noire, a particulièrement marqué la mémoire populaire.
C'est près du rocher aussi que saint Céneré vint se réfugier et fonder son ermitage. Et c'est du rocher qu'il fit jaillir - de son bâton, ou bien de ses larmes, qui rappellent celles de Salica - la source miraculeuse qui continue de couler et de filtrer au travers de la voûte d'une grotte artificielle. La légende fondatrice de la source connaît plusieurs versions divergentes, ce qui semble bien indiquer l'antiquité de cette tradition. Mais elles se rejoignent pour parler des trois femmes dont une seule répond à la demande du saint, et qui s'en trouve gratifiée. Une coutume s'est longtemps rappelée de ce thème : il était de tradition, pour les noces, de visiter ce lieu. Mais il fallait surtout éviter de s'y rencontrer à deux, et encore plus à trois groupes. Car alors, une seule des mariées obtenait les faveurs du saint, et les autres étaient destinées à mourir dans l'année.
La source de saint Céneré
L'entrée de la grotte, au-dessous de l'ermitage de saint Céneré
L'entrée de la grotte, au-dessous de l'ermitage de saint Céneré
Aurélie Gautheur, Office de Tourisme de Saulges
Karine Boueme, grottes de Saulges
Paul-Henri de Vitton, Association des Amis de Saint Céneré