(Texte d'Emile Souvestre, paru dans Le Foyer breton, Paris, 1844)
Là où se trouve maintenant la dune de Saint-Efflam, s'étendait autrefois une ville puissante ; les flottes de cette ville couvraient la mer et elle était gouvernée par un roi ayant pour sceptre une baguette de noisetier avec laquelle il changeait toutes choses selon son désir. Mais la ville et le roi furent damnés pour leurs crimes, si bien qu'un jour, par l'ordre de Dieu, les grèves s'élevèrent comme les flots d'une eau bouillonnante et engloutirent la cité. Seulement, chaque année, la nuit de la Pentecôte, au premier coup de minuit, un passage s'ouvre dans la montagne et permet d'arriver jusqu'au palais du roi. Dans la dernière salle de ce palais, se trouve suspendue la baguette de noisetier qui donne tout pouvoir ; mais pour arriver jusqu'à elle il faut se hâter ; car aussitôt que le dernier coup de minuit s'est éteint, le passage se referme et ne doit se rouvrir qu'à la Pentecôte suivante. Skoarn a retenu ce récit du vieux mendiant d'Yar, et voilà pourquoi il se promène si tard sur le sable de la Lew Dréz. Enfin un tintement aigu retentit au clocher de Saint-Michel. Skoarn tressaille !... Il regarde, à la clarté des étoiles, le rocher de granit qui forme la tête de la montagne, et le voit s'entr'ouvrir lentement comme la gueule d'un dragon qui s'éveille. Il assure alors à son poignet le cordon de cuir qui tient son pennbaz et se précipite dans le passage, d'abord obscur, puis éclairé par une lumière semblable à celles qui brillent, la nuit, dans les cimetières. Il arrive ainsi à un palais immense, dont les pierres sont sculptées comme celles de l'église du Folgoat ou de Quimper-sur-l'Odet. La première salle où il entre est pleine de bahuts où l'on voit entassé autant d'argent qu'il y a de grains de blé dans les huches après la moisson : mais Perik veut plus que de l'argent, et il passe outre. - Dans ce moment sonne le sixième coup de minuit. Il trouva une seconde salle entourée de coffres qui regorgent de plus d'or que les râteliers ne regorgent d'herbes en fleurs au mois de juin : Perik aime l'or, mais il veut davantage, et il va plus loin. - Le septième coup vient de sonner. La troisième salle où il entre est garnie de corbeilles où les perles ruissellent comme le lait dans les terrines de terre de Cornouaille, au premier jour du printemps. Skoarn eût bien voulu en emporter pour les jolies filles de Plestin ; mais il continue sa route en entendant sonner le huitième coup. La quatrième salle était tout éclairée par des coffres remplis de diamants, jetant plus de flammes que les bûchers d'ajonc sur les coteaux du Douron, le soir de la Saint-Jean. Skoarn est ébloui : il s'arrête un instant, puis court vers la dernière salle, en entendant sonner le neuvième coup. Mais là, il demeure subitement saisi d'admiration ! Devant la baguette de noisetier que l'on voit suspendue au fond, sont rangées cent jeunes filles belles à perdre les âmes des saints ; chacune d'elles tient, d'une main une couronne de chêne, et de l'autre une coupe de vin de feu. Skoarn, qui a résisté à l'argent, à l'or, aux perles et aux diamants, ne peut résister à la vue de ces belles créatures aimées du péché. Le dixième coup sonne, et il ne l'entend pas ; le onzième retentit, et il demeure immobile ; enfin le douzième se fait entendre, aussi lugubre que le coup de canon d'un navire en perdition parmi les brisants !... Perik, épouvanté, veut retourner en arrière, mais il n'est plus temps. Toutes les portes se sont refermées : les cent belles jeunes filles ont fait place à cent statues de granit, et tout rentre dans la nuit ...